Mémoires d'un enfant...unique (3).




Adulte

Le passage dans la vie d'adulte se fait (enfin) grâce à l'entrée dans le cycle universitaire.
Autant, comme pour la plupart des individus, l'enfance et l'adolescence, même heureuses, sont peu ou prou soumises à certaines contraintes liées au jeune âge forcément inexpérimenté dépendant de l'environnement familial et de l'autorité parentale, autant ce saut dans la vie estudiantine est synonyme de découvertes de libertés tous azimuts surtout lorsque jusqu'alors, on a le sentiment d'avoir été quelque peu surprotégé au sein d'un cercle familial assez restreint.
Et il faut bien avouer que pour Christian les études supérieures représentent bien plus un formidable tremplin vers son épanouissement sexuel, relationnel que le moyen de réussir une carrière dont les contours étaient, dans sa tête, déjà bien définis dès l'âge de 14ans.
En cela, qu'ils s'agissent des candidatures en droit ou en sciences commerciales auxquelles s'ajoutera une année dans une école de commerce dont la fréquentation fut inversément proportionnelle à celle passée en de féminines compagnies ou, à défaut, sur différents courts de tennis et autres activités ludiques.

Dès ses 18ans, il reçut de la part de ses parents "sa" première voiture, emblème de liberté de mouvements et possibilités de déplacements agréablement accompagnés de filles, copines ou copains d'autant que pour encourager son parcours universitaire, son père qui n'avait pas qu'une brique dans son ventre mais bien plutôt tout un mur... lui alloua un étage complet dans une de ses maisons.
Ceci dit, les projets du père et de son fils restèrent contradictoires et cette opposition fut telle que l'essentiel de la communication entre ces deux caractères forts et entiers ne passait plus que par le canal diplomatique de la mère-épouse!.
Aussi, lorsque Christian asséna à son père dépité que jamais il ne reprendrait sa société mais qu'il en créerait une ou plusieurs par ses propres moyens et capacités, celui-ci se résigna à prendre enfin plus de temps pour ses loisirs et surtout profiter du calme et de la beauté des paysages aux alentours d'une villa construite à la campagne.

Parmi les buts que l'ado de 14ans s'était fixé, il y avaient les nombreuses conquêtes féminines, la création d'entreprise(s) avec pour corollaire le succès financier, d'autant que, par parenthèse, à cette "époque", la réussite, l'argent et l'ambition étaient des qualités et non des tares comme cela l'est actuellement dans nos pays européens en déclin.
Le temps universitaire lui permit d'engranger les premiers amours et, pour satisfaire ses autres aspirations, à l'entame de sa 5ème année d'études, encore partiellement "étudiant" et après avoir examiné les opportunités dans différents domaines dans lesquels la concurrence était limitée par le petit nombre d'acteurs présents même si cela induisait une difficulté accrue d'y faire sa place, il sut définir le secteur d'activités dans lequel il voulait évoluer.

Malgré le fait que ses connaissances techniques et commerciales dans le domaine assez spécialisé choisi étaient nulles, il se lança seul, fort de l'audace de son immuable et indestructible confiance en soi...et cela donna assez rapidement de bons résultats qui le conduisirent à ne pas passer les derniers examens auxquels de toute manière, il ne s'était pas préparé et à poursuivre les contacts individuels avec ses nouveaux clients et fournisseurs qui souvent étaient assez interloqués face à ce sympathique jeune impétueux contrastant avec la concurrence faite de quadras (au minimum).
Ce touriste des affaires venu de nulle part et qui, du point de vue de la majorité de ses concurrents bien installés, y repartirait bientôt!.

Après une dernière tentative autoritaire de son père qui, au détour d'une proposition de financement et de la mise en place d'une société juridiquement et capitalistiquement plus structurée, voulut reprendre le contrôle via un décompte de majorité des parts auquel le fiston n'adhéra bien évidemment pas le moins du monde au risque bien réel de voir son embryon de société mourir de facto.
Christian encaissa le coup et se détourna totalement de ce géniteur frappé brutalement peu de temps après par une crise cardiaque foudroyante.
A ce propos, que ce soit pour lui-même ou pour ses proches, la mort ne représente rien, hormis le dernier passage obligé et définitif, pour le personnage dont nous relatons l'histoire et se résumerait par; ni fleurs et/ou pleurs, ni couronnes ou visites de cimetières d'autant qu'il privilégiera pour lui-même l'incinération sans cortège, ni urne.

Mais on n'en est pas (encore) là et pour l'instant, le sourire, la culture générale alliée à cette toujours présente faculté de comprendre, d'anticiper les réactions de ses interlocuteurs font que d'acquisitions de marques défendues par d'autres en exclusivités dénichées dans les différents congrès et expositions de par le monde, la société progresse à un point que les premiers écueils concurrentiels mus et par jalousie et par crainte face à ce "gentil" mais encombrant jeune "blanc-bec" se font jour sans que cela ne perturbe ou gêne la montée en puissance de l'entreprise qui en moins de dix ans devient l'une des cinq premières dans son secteur et pays et qu'internationalement le nom soit connu comme l'entreprise avec laquelle on se doit de collaborer.

Si, parmi les innombrables anecdotes qui jalonnent cette success-story, il ne fallait en retenir qu'une seule, je relaterais celle dont je fus témoin privilégié et qui veut que l'ensemble des sociétés nationales étaient regroupées via leurs PDG au sein d'une organisation internationale qui était dirigée par un des membres choisi en assemblée extraordinaire.
Sachant qu'il avait décidé deux ans avant la cession de sa société de se présenter comme candidat président national et de réussir, de justesse, à en prendre le contrôle, il dût, comme la nouvelle fonction l'obligeait, accompagner le candidat désigné par les membres nationaux à la présidence de cette instance internationale.

Son talent de conviction et sa science de l'intrigue firent que les membres internationaux décidèrent à la majorité que ce soit Christian, à la surprise totale du "poulain national", qui serait l'élu ou, qu'à défaut, ce poste revienne au délégué allemand qui profita sans le savoir de l'impossibilité pour Christian d'accepter cette fonction car il lui était interdit de révéler le secret de la mise en vente courant de cette même année de sa société.
N'empêche que cet épisode restera pour lui une sorte de consécration, un coup de maître tactique.
Dans l'entre-temps, une deuxième société fut créée en partenariat avec un associé dont Christian perçut assez rapidement que les aspirations de profiter de son entregent était la raison primordiale, ce qui lui permit, le moment choisi, de s'en défaire sans difficultés et de contraindre cet associé un peu trop ingrat à déposer le bilan avec pertes et fracas.

Deux ans plus tard et à la plus grande surprise de tous d'autant que ni ami(e)s, ni employés-collaborateurs, clients et fournisseurs n'aient eu le moindre soupçon ou information, Christian décida de revendre cette société jeune et prospère encore pleine d'avenir à un groupe qui, malheureusement, d'erreurs stratégiques en management incompréhensible et totalement inverse de celui qui la fit grandir, ne résista que trois ans avant qu'elle et le groupe qui l'avait achetée disparaissent du paysage des affaires.

Et pendant ce temps, la trentaine à peine entamée, Christian, profitait pleinement de tous les avantages: hôtels luxueux, restaurants réputés, etc, que lui procurait son statut de jeune indépendant aisé au carnet d'adresses au sein duquel se côtoyaient des personnes riches, cultivées qui, comme lui, détestaient l'arrivisme vulgaire et ostentatoire de "people" en seule recherche d'image.

Sur le plan amoureux, Christian papillonnait d'histoires d'amour en amourettes avec le même souci principal de jouir au maximum de la vie sans la moindre concession fut-ce au prix de ruptures que bien longtemps après, il put regretter mais dont le point commun est que jamais il ne voulut créer de famille, avoir des enfants pour, disait-il, préserver l'intensité d'un amour qui n'est fort que le temps où un troisième être n'y est entré et ne vienne tempérer la relation initiale comme l'expérimente la plupart des couples qui n'ont pas eu ce choix ou cette volonté et qui connaissent les affres des tromperies, disputes, séparations et divorces.

Cependant, les années passent, les rencontres se font plus rares, moins intenses même s'il en est d'improbables qui ont su l'étonner mais n'allez pas croire que Christian nage en pleine naïveté et que jamais le moindre regret ne l'effleure d'autant que souvenez-vous dans son projet initial, tout était défini par étapes successives et assez fidèlement réussies sauf que pour celui qui n'avait que 14ans, ce parcours prenait fin à 50ans!.
Alors, secret dévoilé, que fait-il maintenant qu'il a passé ce cap?
En résumé, il vit toujours bien mais plutôt isolé et de manière minimaliste quant aux biens qu'il affiche hormis un capital qui, pour ses relations les plus proches, le définit comme un radin qui, une fois mort, sera l'un des plus riches du cimetière!.
Alors serait-ce le signe qu'il est malheureux et que ses choix passés n'étaient qu'erreurs?

Lorsque l'on est un des rares à encore avoir le privilège de le côtoyer, il semble bien que ceci soit tout le contraire et qu'il n'agisse toujours qu'en fonction de ses choix et envies du moment et que cette vie en retrait ne soit que temporaire sans que quiconque ne puisse connaître la durée de ce détachement des choses et des personnes.
A moins que, et je concède que je tends actuellement à privilégier cette seconde hypothèse, il ait fini par se brûler les ailes, à force de toujours vouloir plus comme l'avait fait Icare, grisé par la quête de plaisirs et qui finit par tomber inexorablement.

En effet, cette solitude quasi monastique, ce refus de toute nouvelle relation, lui qui était au centre des conversations, évènements et toujours si bien accompagné ne vaut que si, comme je le crois, une de ses relations amoureuses mais néanmoins toutes gâchées par trop d'égocentrisme lui est finalement apparue comme essentielle, vitale et qu'il finit par assumer que son existence sans elle (qui se reconnaîtra) n'est que virtuelle et sans intérêt.
Moi, qui me félicite de l'avoir bien connu, je peux dire que lors de son dernier voyage en solitaire, ce que les flammes de l'incinérateur ont ou vont brûler n'est que l'enveloppe d'un corps entièrement dévasté, consumé par cet amour perdu et cette première partie de vie si passionnante.

Triste fin pour celui que la vie avait tant gâté mais qui ne l'a compris que trop tard...

Par contre et comme seul témoin de cette pensée particulière, j'avoue que sa prédiction lancée à l'aube de ses 35 ans qui veut que sa mort coïncide avec la fin de la Terre telle que nous la connaissons m'avait fait, à l'époque, sourire et me dire que son égocentrisme suffisant lui jouait de vilains tours.
Force est de reconnaître qu'au vu de la succession d'événements climatologiques assez destructeurs que nous subissons, ce qui aurait dû n'être qu'une boutade au goût quelque peu douteux finit par m'angoisser jusqu'à espérer qu'il meure le plus tard possible!.